La mathématicienne américaine Julia Robinson (1919-1985) est célèbre pour ses travaux sur le dixième problème de Hilbert, à la croisée des chemins des mathématiques et de l'informatique.
Née en 1919 dans le Missouri, elle voit sa jeunesse bouleversée par la mort de sa mère alors qu'elle n'a que 2 ans, et par de graves problèmes de santé: elle doit garder le lit pendant toute une année et reprendre l'école avec deux ans de retard.
En 1933, elle entre au San Diego State College où elle reçoit plusieurs prix pour ses excellents résultats en mathématiques et en physique. Elle entre ensuite à l'Université de Californie à Berkeley, où elle est diplômée en 1940 et où elle a suivi le cours de Théorie des nombres de Raphael Robinson, qu'elle épouse en 1941. A cette époque, le règlement en vigueur à Berkeley interdisait à un couple de travailler dans le même département. Elle entre donc comme assistante de recherche dans le laboratoire de statistique. Quand le Service du Personnel de l'Université lui demande un rapport hebdomadaire d'activités, elle répond malicieusement: « Monday-tried to prove theorem, Tuesday-tried to prove theorem, Wednesday-tried to prove theorem, Thursday-tried to prove theorem, Friday-theorem false ».
En 1948, elle obtient son doctorat sous la direction du logicien Alfred Tarski, avec une thèse intitulée "Definability and decision problems in arithmetic". Sur les conseils de Tarski, elle s'attaque alors au 10ème problème de Hilbert (qui est un problème de décision), auquel elle va consacrer 22 années de sa vie.
Quel est ce problème? Au 3ème siècle de notre ère, le mathématicien grec Diophante d'Alexandrie, dans son ouvrage "Arithmetica", avait énoncé et résolu 130 problèmes conduisant tous à des équations du premier ou du second degré, dont il fallait trouver une solution entière ou fractionnaire. Actuellement, on appelle équation diophantienne toute équation polynomiale de degré quelconque, à coefficients entiers, à une ou plusieurs inconnues, dont il faut trouver toutes les solutions entières.
Voici quelques exemples (dans ce qui suit, on suppose toujours, pour éviter des solutions triviales, que les inconnues sont des entiers positifs non nuls) :
- L'équation x(x + 1)(x + 2) = y(y + 1) n'a que deux solutions: x = 1, y = 2 et x = 5, y = 14.
- L'équation x² - 13y² = 1 a une infinité de solutions, la plus petite étant x = 649, y = 180.
- L'équation x² + y² = z² a une infinité de solutions (déjà toutes connues de Diophante), par exemple 3² + 4² = 5².
- Par contre, si on remplace l'exposant 2 par un exposant entier n plus grand que 2, alors xn + yn = zn n'a plus aucune solution (c'est le cèlèbre "Grand Théorème" énoncé par Fermat vers 1636 et démontré en 1994 par Andrew Wiles et Richard Taylor, en utilisant des mathématiques très sophistiquées).
- Ainsi, l'équation x⁵ + y⁵ = z⁵ n'a aucune solution; par contre, on ignore s'il en est de même par exemple pour x⁵ + y⁵ = 7z⁵, malgré l'apparence anodine de celle-ci.
Les équations diophantiennes jouent un rôle important en cryptographie, notamment dans la méthode des courbes elliptiques (recommandée par la National Security Agency depuis 2005).
En 1900, à l'occasion du Congrès International des Mathématiciens qui avait lieu à Paris, le grand mathématicien allemand David Hilbert proposa une liste de 23 problèmes qui devaient, selon lui, influencer les mathématiques du 20ème siècle par leur importance et leur difficulté (6 d'entre eux sont toujours non résolus!).
Le 10me problème peut s'énoncer comme suit :
existe-t-il un algorithme tel que, si on l'applique à n'importe quelle équation diophantienne, il répondra, après un nombre fini d'étapes, par OUI ou par NON à la question « cette équation diophantienne a-t-elle au moins une solution ? ».
En 1948, Julia Robinson essaie de prouver, sans y parvenir, qu'il n'existe pas d'équation diophantienne dont les solutions sont exactement les puissances de 2, c'est-à-dire 1, 2, 2², 2³, … Ceci la conduit à introduire l'importante notion d'équation diophantienne exponentielle. En 1950, elle publie un article sur ce sujet puis, en 1961, en collaboration avec Martin Davis et Hilary Putnam, elle formule une hypothèse cruciale (qu'on appellera l'hypothèse J.R. en son honneur) qui, si elle s'avérait vraie, entraînerait une réponse négative à la question d'Hilbert. Enfin, en 1970, Yuri Matiyasevich, un mathématicien russe de 22 ans, démontre, à l'aide d'une construction astucieuse utilisant la suite des nombres de Fibonacci, que l'hypothèse J.R. est vraie, ce qui résout complètement le 10e problème de Hilbert: l'algorithme « tout puissant » dont Hilbert rêvait n'existe donc pas !
En 1975, Julia Robinson est la première mathématicienne élue à la National Academy of Sciences, à la suite de quoi l'Université de Berkeley lui offre enfin un poste de professeur dans le département de mathématiques.
En 1982, elle est aussi la première femme élue Présidente de l'American Mathematical Society.
En 1985, elle décède d'une leucémie à 65 ans.
Dans son autobiogaphie, elle avait écrit:
"What I really am is a mathematician. Rather than being remembered as the first woman this or that, I would prefer to be remembered, as a mathematician should, simply for the theorems I have proved and the problems I have solved".
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