Mécanisme mis en évidence — rôle des enzymes “AA7”
Les scientifiques ont identifié un groupe de gènes chez P. infestans codant pour des enzymes de type “berberine bridge enzyme-like” (BBE-like), également appelées “AA7 oxidases”. Ces gènes sont fortement activés très tôt lors du contact avec la plante, ce qui indique une implication dès les premières étapes de l’infection.
Les protéines codées sont sécrétées et ont la capacité d’oxyder des fragments de pectine — la pectine étant le principal polysaccharide chargé de la paroi cellulaire végétale. En particulier, ces enzymes ciblent les oligogalacturonides (OGs), c’est-à-dire des fragments de pectine générés lors de la dégradation de la paroi cellulaire.
L’oxydation se produit au niveau de l’“extrémité réductrice” des OGs, modifiant leur structure chimique. Résultat : ces OGs oxydés sont invisibles du système immunitaire de la plante — ils ne déclenchent plus la production de “burst” de molécules réactives de l’oxygène (ROS), une des premières réponses immunitaires. Contrairement à ce que l'on savait auparavant, ils peuvent même inhiber les défenses de la plante.
Localisation et importance fonctionnelle
Grâce à des expériences de microscopie confocale, les chercheurs ont observé que l’enzyme la plus abondante (AA7) est localisée aux pointes des tubes germinatifs de P. infestans avant la pénétration des feuilles, puis dans les haustorium lorsque l’infection débute — des structures cruciales pour la pénétration et la colonisation des tissus végétaux.
Lorsqu’ils ont “éteint” (silencé) les gènes codant ces AA7 chez P. infestans, l’infection des plantes (par exemple pommes de terre) en laboratoire a été fortement réduite — les lésions causées par le pathogène étaient beaucoup plus limitées. Cela confirme que ces enzymes jouent un rôle essentiel dans la virulence et la capacité d’infection.
Conséquences biologiques et agronomiques
Cette découverte révèle un mécanisme d’infection sournois : au lieu de simplement détruire la paroi cellulaire ou d’injecter des toxines, P. infestans modifie chimiquement les signaux de danger provenant des plantes — les OGs — pour “désactiver” leur système d’alarme immunitaire. Autrement dit, l’agent pathogène neutralise les signaux d’alerte de la plante avant qu’elle ne puisse réagir, ce qui lui donne un avantage décisif pour coloniser les tissus.
Sur le plan agronomique, ces résultats ouvrent la voie à nouvelles stratégies de protection des cultures. En ciblant ces enzymes AA7 — par des inhibiteurs, par exemple — il pourrait devenir possible de restaurer la capacité des plantes à détecter les OGs et déclencher leurs défenses naturelles, sans recourir systématiquement à des pesticides chimiques. Cela pourrait contribuer à améliorer la sécurité alimentaire tout en réduisant l’impact environnemental de l’agriculture.
Importance de l’étude et perspectives
L’identification des AA7 comme facteurs de virulence chez un pathogène comme P. infestans représente une avenue inédite dans la compréhension des interactions plante-pathogène — jusqu’ici de nombreuses recherches se focalisaient sur des enzymes de destruction de paroi, des toxines, ou des “effecteurs” protéiques. Ici, c’est une modification chimique des signaux de danger qui est exploitée.
Le fait que ces enzymes soient conservées dans d’autres espèces d’oomycètes (et potentiellement d’autres microbes phytopathogènes) suggère que ce mécanisme pourrait être généralisé — ce qui en fait une cible prioritaire pour la recherche d’outils de lutte contre les maladies des plantes.
À terme, ces découvertes pourraient mener à des solutions durables et spécifiques pour protéger les cultures, moins dépendantes des fongicides traditionnels, et mieux adaptées à des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.
Financement de la recherche : projet Win2Wal Jupiter
Référence :
Article complet disponible dans nature communications
Oomycetes manipulate plant innate immunity through galacturonide oxidases | Nature Communications